Ordinals est un protocole apparu en janvier 2023, conçu par Casey Rodarmor, qui permet d’inscrire des données directement sur la blockchain Bitcoin en les associant à des satoshis — les plus petites unités de BTC. Plutôt que de créer une couche supplémentaire ou une sidechain, Ordinals exploite des éléments déjà présents dans Bitcoin (notamment SegWit et la witness data) pour attacher des fichiers (images, textes, sons, petits scripts) à des sats. Ces inscriptions sont immuables : une fois inscrites, elles restent accessibles sur la chaîne. Le protocole a rapidement donné lieu à une explosion de créativité (digital artefacts) et à des normes fongibles simples comme les BRC‑20, mais il a aussi relancé le débat sur l’usage, la taille de la blockchain et la décentralisation.
Origines et mécanisme technique d’Ordinals
L’annonce d’Ordinals date du 20 janvier 2023. Rodarmor a proposé un système simple mais efficace : numéroter chaque satoshi (Ordinal Theory) et permettre l’écriture de données dans la witness portion des transactions, là où SegWit a déplacé certaines données hors de la structure de base du bloc. Concrètement, une inscription contient le fichier ou les métadonnées, encodés et attachés à une sortie (UTXO). La witness data hébergeant ces inscriptions n’est pas comptée de la même façon que la partie traditionnelle des blocs, ce qui a permis à Ordinals d’être viable sans modification du protocole Bitcoin.
Le fonctionnement repose sur trois briques :
- la numérotation des satoshis pour les identifier et les suivre,
- l’écriture d’une charge utile (payload) dans la witness d’une transaction,
- la propagation et la conservation de cette information via les nœuds et les explorateurs compatibles.
Les inscriptions peuvent être lues par des wallets et explorateurs qui comprennent le format Ordinals. Elles sont immuables et publiques : toute donnée inscrite est disponible pour quiconque synchronise la chaîne.
Ordinal Theory : suivre et rarefier les satoshis
La Ordinal Theory numérote les satoshis selon leur ordre d’émission et de transfert. Cette numérotation permet d’attacher une histoire à certains sats et de créer des « rare sats » fondés sur des caractéristiques (sats issus d’un bloc particulier, associés à une inscription précoce, etc.). Cette dimension a alimenté un marché de collectionneurs : certains sats deviennent recherchés non pour leur valeur en BTC mais pour leur histoire ou leur contenu on‑chain.
Le suivi des sats repose sur l’analyse des UTXO et des transactions successives. Les outils Ordinals reconstruisent la trajectoire d’un satoshi et rendent visible s’il porte une inscription. Cela a ouvert un nouveau champ pour la tokenisation et la collection on‑chain, exclusivement sur Bitcoin.
Inscriptions et BRC‑20 : nouveaux usages et tokenisation
Les digital artefacts sont essentiellement des fichiers inscrits : images, GIF, œuvres d’art numériques, textes, etc. Ils sont totalement on‑chain et immuables. À partir de cette capacité à inscrire des données, la communauté a inventé des standards improvisés, dont les BRC‑20 : une norme légère pour créer des tokens fongibles via l’inscription de JSON décrivant la logique (deploy, mint, transfer).
Les BRC‑20 ne sont pas des smart contracts au sens d’Ethereum ; ce sont des conventions lisibles et interprétées par des outils externes qui gèrent l’état des tokens en scrutant la chaîne. Leur simplicité a permis une adoption rapide, mais les limitations sont importantes : inefficacité, coût élevé par token par rapport aux blockchains conçues pour les smart contracts, et absence de garanties atomiques ou de sécurité contractuelle robuste.
Avantages d’Ordinals pour les créateurs et la communauté
Ordinals a apporté plusieurs bénéfices immédiats :
- immutabilité : les œuvres inscrites sont définitivement accessibles tant que Bitcoin existe,
- visibilité : Bitcoin, pour la première fois depuis longtemps, devient un support d’objets numériques créatifs,
- adoption : des utilisateurs qui ne connaissaient pas Bitcoin ont été amenés au réseau via les artefacts,
- revenus pour mineurs : la demande d’espace bloc a parfois augmenté les frais, profitant aux mineurs.
Pour les artistes et collectionneurs, Ordinals offre une alternative radicale : pas de dépendance à une couche externe, pas de métadonnées hébergées off‑chain, tout est sur la chaîne.
Limites, risques et critiques techniques
Malgré ses atouts, Ordinals soulève des critiques sérieuses :
Impact sur la taille de la blockchain et la décentralisation
Les inscriptions augmentent la quantité de données que les nœuds doivent conserver. Si la tendance croît, cela peut rendre plus coûteux l’exploitation d’un nœud complet, freinant la décentralisation. Certains estiment que Bitcoin doit rester léger pour permettre à quiconque d’exécuter un nœud, tandis que d’autres défendent la liberté d’usage.
Concurrence avec les transactions traditionnelles
Lorsque les blocs se remplissent d’inscriptions volumineuses, l’espace disponible diminue pour les transactions financières ordinaires, ce qui peut faire monter les frais et dégrader l’expérience des utilisateurs qui n’ont pas d’intérêt pour les artefacts.
Risques juridiques et de contenu
La permanence des données pose des questions : des contenus protégés par le droit d’auteur, des données sensibles ou illicites peuvent être inscrits. Une fois sur la blockchain, il est impossible de les retirer, ce qui crée des risques légaux et éthiques pour les services qui indexent ou facilitent l’accès.
Efficacité et scalabilité des tokens (BRC‑20)
Les BRC‑20 sont pratiques pour des expérimentations, mais inefficaces pour des usages à grande échelle. Chaque action (mint, transfer) peut nécessiter une inscription, ce qui est coûteux et peu évolutif comparé aux solutions de couches 2 ou aux blockchains spécialisées.
Sécurité et robustesse
Ordinals utilise des mécanismes Bitcoin standards ; cependant, la multiplication des outils tiers (wallets, indexeurs, services d’inscription) introduit des vecteurs d’erreur. Les utilisateurs doivent être prudents avec les services non audités.
Cas d’usage concrets et qui en profite
Collection numérique et art on‑chain
Les artistes peuvent inscrire leurs œuvres directement sur Bitcoin, garantissant provenance et immutabilité. Les collectionneurs achètent des artefacts et « rare sats » pour leur valeur historique.
Objets numériques et certificats
Des certificats, tickets ou preuves d’authenticité peuvent être inscrits pour rester vérifiables et infalsifiables. Cela peut intéresser secteurs comme le luxe ou les événements.
Expérimentations tokenisées (BRC‑20)
Des projets créent des tokens expérimentaux et marchés secondaires. Bien que rudimentaires, ces expérimentations aident à comprendre les limites d’un modèle on‑chain strict.
Marketing et visibilité pour projets Bitcoin
Des entreprises ou créateurs utilisent Ordinals pour lancer des campagnes virales et attirer l’attention sur Bitcoin.
Enjeux économiques : qui gagne et qui perd
Les mineurs profitent souvent d’une hausse des frais lorsque la demande d’inscription augmente. Les utilisateurs moyens, en particulier ceux qui effectuent des petites transactions, peuvent subir des coûts plus élevés. Les fournisseurs d’infrastructure (indexeurs, portails, wallets spécialisés) trouvent de nouvelles opportunités commerciales, tandis que les opérateurs de nœuds doivent évaluer le coût de stockage et de bande passante accrus.
Questions fréquentes (FAQ)
Ordinals, c’est une modification du protocole Bitcoin ?
Non. Ordinals n’exige pas de changement du protocole : il exploite des fonctionnalités existantes comme SegWit et la witness data. C’est un protocole d’application construit sur Bitcoin.
Les inscriptions peuvent‑elles être supprimées ?
Non. Une inscription sur la blockchain est immuable. Elle disparaîtra uniquement si l’hypothèse extrême d’un effondrement ou d’une réécriture de la chaîne (fork majeur) se produit, ce qui est hautement improbable.
Les inscriptions augmentent forcément les frais ?
Pas forcément à chaque instant, mais une demande soutenue d’espace bloc peut augmenter la concurrence pour ce dernier, ce qui tend à faire monter les frais. Les pics d’activité Ordinals ont déjà causé ce phénomène à certaines périodes.
Que sont les BRC‑20 et sont‑ils sûrs ?
Les BRC‑20 sont une norme informelle pour créer des tokens fongibles via des inscriptions JSON. Ils sont simples et expérimentaux, mais manquent de la sûreté et des fonctionnalités avancées des smart contracts. Ils conviennent pour des tests et des expériences, pas pour des applications financières critiques sans garanties supplémentaires.
Comment lire ou acheter un digital artefact ?
Il faut un wallet ou un explorateur compatible Ordinals. Les places de marché spécialisées listent les artefacts ; l’utilisateur transfère BTC vers des adresses spécifiques selon les indications du service pour acquérir l’inscription associée.
Perspectives et bonnes pratiques
Pour les développeurs et entreprises qui veulent tirer parti d’Ordinals : commencer par un POC, mesurer l’impact sur les coûts (frais), prévoir la gestion du stockage à long terme et évaluer les implications légales. Pour les utilisateurs : privilégiez des services audités et soyez conscient de la permanence du contenu que vous achetez.
La communauté Bitcoin continuera à débattre des limites d’usage. Des solutions hybrides (stockage off‑chain avec preuve on‑chain, couches 2 dédiées) peuvent apparaître pour concilier créativité et conservation de la mission originelle de Bitcoin.
Conclusion : innovation avec prudence
Ordinals est une innovation majeure qui montre la polyvalence de Bitcoin au‑delà de la simple réserve de valeur : il peut servir de registre permanent pour les créations numériques. Cette capacité ouvre des opportunités économiques et culturelles importantes, mais elle impose aussi des responsabilités techniques et juridiques. Les acteurs doivent peser les bénéfices (immuabilité, provenance, nouvelles économies) contre les risques (taille de la blockchain, hausse des frais, contenus problématiques). Utilisé avec discernement, Ordinals enrichit l’écosystème Bitcoin ; utilisé sans précautions, il peut dégrader l’expérience réseau et poser des problèmes durables.




